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Anonymous
| Posted on Tuesday, July 04, 2006 - 03:41 pm: | |
Fanatisme, fanatisme… Les équipes savent perdre, mais pas les fanatiques. Il y a huit ans un Brésil sans entrain ni organisation se faisait battre par la France. Pour les « fanatiques » haïtiens, c’était la faute à une « magie blanche » plus puissante que le candomblé. Le ballon s’était transformé en pierre, le gardien français en sirène, le terrain en sable mouvant. Cette fois-ci, ils étaient préparés, ils n’avaient accepté ni boisson ni nourriture. Aucune magie française ne protègerait Zidane contre la revanche brésilienne. Sur les ailes, deux vieux bûcherons plus fatigués qu’intelligents ; au milieu un Ronaldinho plus pâle qu’Ophélie ; en attaque un Ronaldo plus rond que Tatezo Flando. En face une équipe vieillissante elle aussi mais mieux organisée et un très grand joueur qui, lui, était venu pour jouer. Défaite logique et presque prévisible, mais il y encore, pour des fanatiques haïtiens, un quelque chose de pas clair pour « dessourner » les Brésiliens, il y a la chance et la malchance, le grand albert et le petit albert, le malè pa mal et autres folles conjectures sur fond de diablerie. C’est seulement quand elle est bête que la passion s’oppose à l’intelligence. On peut aimer follement une femme sans la comparer à Marilyn Monroe. On peut aimer follement son pays et se battre pour son avenir sans croire que dans quelques jours il deviendra un paradis. Nous avons développé en Haïti ce culte de la passion bête, avec une étonnante capacité de transmettre cet anti-savoir aux nouvelles générations. J’ai vu, dans un quartier pauvre, une fillette badigeonnée de la tête aux pieds aux couleurs brésiliennes, en larmes. Je doute qu’elle ait vu le match, je doute qu’elle ait jamais suivi un quelconque match. Une mère pauvre ayant du mal à envoyer l’enfant à l’école et à la nourrir correctement, a dépensé une somme considérable pour les gens de sa condition, pour habiller la gamine en poupée noire-jaune- vert et lui imposer la nationalité foot- balistique brésilienne. Je reste saisi devant le ridicule de ces larmes d’emprunt. On devrait pouvoir laisser les enfants choisir leurs équipes au jugé, sur ce qu’ils voient et apprécient. Y a-t-il plus dangereux pour la personnalité et l’individualité que d’hériter d’une passion, sans que le vacarme alentour (la famille, les médias, les rues peintes, les banderoles) vous laisse la possibilité de découvrir, d’apprécier, de choisir ? Cela me chagrine que cette coupe du monde tourne sur sa dernière ligne droite en une affaire euro- péenne. En plus d’une esthétique, la solidarité d’un parcours historique et d’une géographie me lie aux pays d’Amérique : j’ai perdu deux quarts de finale. Mais il me faut bien reconnaître que samedi la meilleure équipe a gagné. Il me faut vivre avec ce fait. Et puis, tout bien considéré, en football comme ailleurs l’idée de « peuples élus » a de quoi inquiéter. Les dieux en ont peut-être, ou les faiseurs de dieux. Mais le réel a ses façons : un coup franc bien tiré, une frappe du plat du pied pour rappeler les fanas à l’ordre du réel. Lyonel Trouillot |
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